LE SYNDROME PROLONGE DE SEVRAGE AUX BENZODIAZEPINES
Publié dans
Comprehensive Handbook of
Drug & Alcohol Addiction 2004
Professor C Heather Ashton, DM, FRCP
2004
School of Neurosciences
Division of Psychiatry
The Royal Victoria Infirmary
Queen Victoria Road
Newcastle upon Tyne NE1 4LP
Nous avons déjà abordé le problème des symptômes prolongés de sevrage aux benzodiazépines (1,2). Ce chapitre propose une mise à jour de ces articles et comprend de nouveaux résultats de recherche.
Pour certains utilisateurs chroniques de benzodiazépines, le sevrage peut être un processus très long. Une importante minorité d’utilisateurs, qui avoisine les 10 à 15% (3), développe un syndrome prolongé de sevrage (4) pouvant durer des mois, voire des années. Ce syndrome, qui n’est naturellement pas une pathologie en soi, est vraisemblablement le produit d’une association de facteurs pharmacologiques et psychologiques en lien tantôt direct, tantôt indirect avec l’usage de benzodiazépines. Ce syndrome inclut (1) des symptômes pharmacologiques de sevrage, qui impliquent la réadaptation lente des changements induits directement par les benzodiazépines au niveau des récepteurs du cerveau (1,5 – 7) et (2) des symptômes psychologiques, qui résultent indirectement de l’usage prolongé des benzodiazépines, et incluent la révélation de capacités amoindries à gérer le stress et d’autres difficultés personnelles.
Ces symptômes se fondent en un tableau clinique complexe, compliqué d’autant par (3) la réapparition de l’anxiété ou de la dépression préexistante et (4) peut-être aussi par les effets neurologiques à long terme des benzodiazépines (1), qui sont mal connus.
Ainsi, le syndrome de sevrage aux benzodiazépines dans son ensemble est aussi difficile à définir et à identifier que l’est un accès de grippe, lequel peut être caractérisé par une superposition de pathologies diverses, comme une toxémie d’origine virale, une infection bactérienne secondaire, une dépression post-virale prolongée et des atteintes somatiques comme la cardiomyopathie.
Néanmoins, le fait de savoir que des symptômes peuvent être prolongés est important pour les praticiens en charge du sevrage aux benzodiazépines de leur patient. La façon dont le sevrage initial est mené peut également minimiser l’incidence, la sévérité et la durée des symptômes de sevrage prolongés et améliorer les chances de guérison.
I. LA PHASE AIGUE DE SEVRAGE
Il est généralement admis que la phase aiguë de sevrage “pharmacologique” aux benzodiazépines dure entre 5 et 28 jours, avec un pic de sévérité après deux semaines de sevrage, période après laquelle la plupart des symptômes reviennent au niveau qui précédait le sevrage (8-14). Cet ensemble de symptômes inclut des symptômes communs à tous les états d’anxiété, mais certains sont atypiques et considérés comme étant assez spécifiques au sevrage aux benzodiazépines (tableau 1).
Tableau 1. Symptômes courants de sevrage aux benzodiazépines
Symptômes communs à tous les états d’anxiété
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Symptômes moins couramment rencontrés lors des cas d’anxiété et relativement spécifiques au sevrage aux benzodiazépines
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Anxiété, attaques de panique, agoraphobie
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Distorsions perceptuelles, impression de mouvement
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Insomnie, cauchemars
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Dépersonnalisation, déréalisation
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Dépression, dysphorie
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Hallucinations (visuelles, auditives),
perceptions faussées
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Excitabilité, agitation, nervosité
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Distorsion de l’image corporelle
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Pertes de mémoire et faible capacité de concentration
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Picotements, engourdissements, sensations altérées
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Vertiges, étourdissements
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Formication
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Faiblesse, "jambes de coton"
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Hypersensibilité sensorielle (lumière, bruit, goût, odeur)
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Tremblements
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Spasmes musculaires, fasciculation
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Douleurs musculaires, raideur (membres, dos, cou, mâchoire, tête)
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Acouphènes
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Sueurs, suées nocturnes
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*Confusion, délire
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Palpitations
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*Convulsions
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*Symptômes psychotiques
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*Habituellement circonscrits au sevrage rapide de doses élevées de benzodiazépines
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Toutefois, la durée de cette phase aiguë a probablement été sous-estimée. En premier lieu, la plupart des études cliniques ne durent pas au-delà de 4 à 8 semaines après le sevrage, et l’évolution des symptômes qui peuvent perdurer n’est pas surveillée. En second lieu, la plupart des études n’incluent pas les expériences de rechute, alors que la raison de la rechute est souvent la persistance des symptômes. En effet, la persistance de hauts niveaux d’anxiété au-delà de 28 jours est souvent interprétée non comme un effet du sevrage, mais comme la réémergence d’un état d’anxiété préexistant, qui était maîtrisé par la benzodiazépine (14, 15), et a souvent comme conséquence le rétablissement du traitement aux benzodiazépines. Enfin, il est admis que le retour d’un niveau d’anxiété comparable au niveau précédant le sevrage, pour les patients qui ont réussi à se sevrer, correspond à la fin du syndrome de sevrage aux benzodiazépines.
Certaines données cliniques ne confirment pas ces hypothèses. L’observation de patients suivis sur des périodes plus longues suggère qu’il faut compter, chez certains individus tout au moins, un délai de 6 à 12 mois pour que disparaissent complètement (8,16 – 23) les symptômes typiques de sevrage aux benzodiazépines, ainsi les paresthésies, l’hypersensibilité sensorielle, les spasmes musculaires, les acouphènes, ainsi que d’autres symptômes moins spécifiques tels que l’anxiété, l’insomnie ou la dépression.
L’interprétation des symptômes préexistant au sevrage pose également problème. Les patients qui sont candidats au sevrage ont souvent des symptômes typiques de sevrage aux benzodiazépines, ainsi qu’une anxiété très importante, alors même qu’ils sont encore sous traitement (1,21). Bien que ces symptômes puissent revenir au niveau précédant le sevrage quelques semaines après un pic de sevrage aigu, les observations postérieures démontrent qu’une amélioration peut encore être constatée dans les mois suivants. Même sans traitement spécifique, ils peuvent atteindre des niveaux bien en deçà du niveau d’anxiété préexistant au sevrage, permettant parfois même à des patients de reprendre le cours normal de leur vie après des années d’incapacité (1,19,21).
II. LA PHASE PROLONGEE DE SEVRAGE
La phase aiguë de sevrage peut se fondre imperceptiblement en une phase plus prolongée au cours de laquelle les symptômes diminuent progressivement mais peuvent réapparaître par vagues (16,21) ponctuées de fenêtres de normalité qui se multiplient en fréquence et en durée jusqu’à une guérison éventuelle, quoique parfois incomplète. D’après les données actuellement disponibles, les symptômes qui sont le plus susceptibles de durer sont l’anxiété, l’insomnie, la détérioration cognitive, la dépression, un certain nombre de phénomènes sensoriels et moteurs et des perturbations gastro-intestinales (Tableau 2).
Table 2. Symptômes prolongés de sevrage aux benzodiazépines
Symptômes
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Durée habituelle
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Anxiété
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Diminution progressive en un an
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Insomnie
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Diminution progressive en 6 à 12 mois
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Dépression
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Quelques mois : répond au traitement par antidépresseur
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Détérioration cognitive
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Amélioration progressive mais peut durer un an ou plus et être occasionnellement incomplète
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Symptômes perceptuels
Acouphènes
Paresthésies – picotements
Engourdissement, douleurs, habituellement dans les membres et les extrémités
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Disparition progressive, mais peuvent durer au moins un an et occasionnellement persister à jamais
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Symptômes moteurs
Douleurs, faiblesse, tension musculaire, spasmes douloureux, tremblements, contractions, blépharospasme
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Disparition progressive, mais peuvent durer au moins un an au moins et occasionnellement persister à jamais
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Symptômes gastro-intestinaux
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Disparition progressive, mais peuvent durer au moins un an et occasionnellement persister à jamais
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A. Anxieté
L’anxiété persistant après la phase aiguë du sevrage peut être en partie dûe à la révélation d’un défaut d’apprentissage causé par les benzodiazépines. Ces médicaments causent des déficiences cognitives (23,24) et détériorent en particulier les stratégies de gestion du stress. Par exemple, Gray (25) et d’autres ont montré que les traitements comportementalistes de l’anxiété, y compris ceux visant à traiter l’agoraphobie, sont en général inefficaces tant que les patients prennent des benzodiazépines, mais deviennent plus efficaces lorsque le traitement est arrêté. Les patients peuvent avoir une faculté amoindrie à gérer les situations stressantes longtemps après le sevrage aux benzodiazépines. Une guérison complète peut nécessiter l’apprentissage de nouvelles stratégies pour remplacer les années de gestion par des moyens pharmacologiques.
En outré, le sevrage aux benzodiazépines peut révéler des problèmes de la vie du patient qui n’ont jamais été résolus. Tyrer (26) souligne, par exemple, que l’effet amnésique des benzodiazépines peut empêcher la résolution de stress personnels tels que le deuil. La nécessité de faire face à ces stress enfouis ou à demi oubliés à l’issue du sevrage peut prolonger l’anxiété et la dépression. Inversement, l’anxiété peut être aggravée par le souvenir d’une tentative antérieure de sevrage traumatisante, conduisant à des symptômes comparables à ceux du syndrome de stress post-traumatique (cauchemars et flashbacks).
Ainsi, la persistance ou l’aggravation de l’anxiété après le sevrage n’implique pas nécessairement la réémergence d’un état d’anxiété existant avant le sevrage. En effet, certains patients font, pour la première fois, l’expérience d’attaques de panique majeures et d’agoraphobie à l’occasion du sevrage, et peuvent développer temporairement un niveau d’anxiété plus sévère que celui qui existait lorsque les médicaments leur avaient été prescrits initialement. Néanmoins, ces symptômes tendent à diminuer de façon progressive après quelques mois, même sans traitement particulier, bien que le processus puisse être accéléré grâce à un soutien psychologique approprié.
B. Insomnie
Les benzodiazépines perturbent les cycles normaux du sommeil, en supprimant le sommeil lent, le sommeil paradoxal, et les rêves. L’arrêt des benzodiazépines engendre souvent une insomnie de rebond (27), et parfois des cauchemars et autres perturbations, notamment un syndrome des jambes sans repos, des myoclonies nocturnes, et des hallucinations hypnagogiques. Les perturbations du sommeil peuvent faire partie d’un syndrome prolongé de sevrage aux benzodiazépines mais subsistent rarement comme symptôme isolé. Quelques mois peuvent s’écouler avant qu’un rythme de sommeil normal soit rétabli.
C. Dépression
Bien que la dépression soit courante chez les usagers chroniques de benzodiazépines et puisse être aggravée par le traitement (23), elle est également un symptôme de sevrage à part entière (8-21). Les symptômes dépressifs peuvent apparaître pour la première fois après le sevrage, souvent quelques semaines après, et peuvent être sévères et prolongés des mois durant. Des suicides ont été signalés dans certaines études. Par exemple, parmi 50 patients en sevrage aux benzodiazépines (21), un patient s’est suicidé, trois patients ont développé des troubles dépressifs sévères, et 17 patients ont souffert d’une dépression suffisamment sévère pour nécessiter un traitement antidépresseur.
Il n’est pas établi que la dépression consécutive au sevrage serait la résultante directe de l’action pharmacologique des benzodiazépines, comme une diminution des niveaux de sérotonine, mais elle répond aux traitements antidépresseurs et disparaît après quelques mois. Aucune étude ne permet de savoir si elle peut revenir des années plus tard ou non.
D. Détérioration cognitive
Il est admis depuis longtemps que les benzodiazépines provoquent une détérioration cognitive, et notamment des troubles de la mémoire, même lorsqu’elles sont utilisées à doses thérapeutiques pour le traitement de l’anxiété ou de l’insomnie. L’acquisition d’informations nouvelles est déficiente, un effet probablement dû en partie à l’action sédative. Toutefois, certains effets amnésiques semblent être sans rapport avec la sédation (24). La mémoire épisodique (le souvenir d’événements récents) est particulièrement affaiblie, tandis que la mémoire somatique (mémoire des mots), la mémoire immédiate et la capacité à faire réémerger de vieux souvenirs sont relativement peu affectées. Des défauts particuliers dans la capacité visuelle et spatiale, ainsi que la difficulté à maintenir une attention soutenue ont également été décrites chez des usagers de long terme de benzodiazépines à dose thérapeutique (28).
Contrairement à la tolérance aux effets sédatifs des benzodiazépines, qui est développée rapidement, et à la tolérance aux effets anxiolytiques, qui apparaît plus lentement, une tolérance totale aux effets amnésiques et autres détériorations cognitives ne semble pas se développer, même après plusieurs années d’usage chronique. De nombreuses études portant sur des usagers de long terme de benzodiazépines ont démontré des défauts d’apprentissage, de mémoire, d’attention et de capacité visuelle et spatiale (24,29 – 34). Ces effets sont plus prononcés chez les personnes âgées (35) et chez les grands buveurs (36).
Les capacités cognitives sont recouvrées progressivement après le sevrage aux benzodiazépines mais ce processus peut être lent et même incomplet, la détérioration cognitive persistant comme symptôme de sevrage prolongé aux benzodiazépines. L’amélioration des capacités cognitives après le sevrage aux benzodiazépines a été constatée chez des pensionnaires de maison de retraite (37) et chez des patients âgés sevrés d’hypnotiques après un traitement de long terme (38). Cependant, un certain nombre d’auteurs ont rapporté que les déficits cognitifs pouvaient persister chez des patients anxieux plusieurs semaines après le sevrage (39), même s’ils n’étaient plus apparents après trois ans et demi (40). Gorestein et al. (33) ont montré que le recouvrement des fonctions mémorielles et du fonctionnement psychomoteur pouvait être incomplet 10 mois après le sevrage aux benzodiazépines et Tata et al. (32) ont constaté une très faible amélioration des fonctions de la mémoire épisodique six mois après le sevrage aux benzodiazépines chez des utilisateurs chroniques. Bergman et al (41) et Borg (42) ont signalé que le recouvrement des capacités neuropsychologiques chez certains patients dépendants de hautes doses de benzodiazépines (qui n’avaient pas de problèmes d’alcool) pouvait être incomplet, un an et six ans après le sevrage. Curran et al. (38) mettent en avant l’hypothèse selon laquelle l’usage des benzodiazépines peut aggraver la détérioration cognitive liée à l’âge, et qu’il pourrait également contribuer aux changements induits par la consommation chronique de l’alcool dans le cerveau (36).
E. Symptômes moteurs et symptômes liés à la perception
Le tableau 1 dresse une liste de symptômes moteurs et symptômes perceptuels qui sont caractéristiques du sevrage aux benzodiazépines. Ces symptômes disparaissent en général après la phase aiguë du sevrage, mais peuvent parfois durer plus longtemps.
1. Acouphènes
Les acouphènes peuvent résulter, à l’origine, d’une hypersensibilité sensorielle générale constatée tôt dans le sevrage, mais ils peuvent persister après la disparition des autres symptômes. Busto et al. (43) décrivent deux cas d’acouphènes persistant 6 et 12 mois après le sevrage aux benzodiazépines, et ils évoquent le cas d’un patient qui n’a pas réussi à se sevrer en raison de la persistance d’acouphènes sévères lors de chaque tentative.
Ashton (1) signale quatre cas d’acouphènes unilatéraux ou bilatéraux apparaissant pour la première fois durant le sevrage aux benzodiazépines et persistant pendant plusieurs années. Trois de ces patients avaient de défauts acoustiques bilatéraux et symétriques, ce qui peut avoir causé ou aggravé leurs acouphènes. D’autres études de cas ont émergé, de façon sporadique, dans la littérature. Les acouphènes, qui sont généralement vécus comme localisés à un endroit précis, peuvent atteindre des niveaux presque intolérables. Un patient a décrit ses acouphènes comme une « aiguille de son » transperçant profondément sa tête.
2. Paraesthésies
Les fourmillements et engourdissements aux extrémités, au niveau du cuir chevelu ou du visage sont des symptômes communs au sevrage aux benzodiazépines, aux états d’anxiété et peuvent être associés à la spasmophilie. Ils peuvent être prolongés par une sensation persistante de piqûre d’aiguille (« pins and needles ») ou par une douleur sévère de type brûlure, sans cause neurologique avérée (5). Deux cas de ce type ont été décrits par Ashton (1).
D’autres perturbations de la perception, notamment des sensations de mouvement, de vibration intérieure, et des impressions épidermiques anormales peuvent persister sans que soit détectée une quelconque psychopathologie.
3. Les symptômes moteurs :
L’accroissement de la tension musculaire, l’hyperréflexie, les tremblements, fasciculations et spasmes musculaires sont courants dans les premiers temps du sevrage. Ces symptômes peuvent être interprétés comme un effet rebond des propriétés myorelaxantes des benzodiazépines. Toutefois, un certain nombre de ces symptômes peuvent perdurer des mois ou des années, ainsi la tension, la faiblesse, les crampes musculaires, les frissons, les crises de tremblement, les spasmes musculaires et le blépharospasme (1,6). De même que pour les perturbations sensorielles, les symptômes moteurs prolongés ne sont pas nécessairement associés à de hauts niveaux d’anxiété ou à d’autres troubles de l’humeur.
4. Les symptômes gastro-intestinaux
Les symptômes gastro-intestinaux sont courants, à la fois lors de l’usage et du sevrage des benzodiazépines. Ils sont à rapprocher de la diarrhée nerveuse et du syndrome du côlon irritable, et peuvent être aggravés par l’hyperventilation (44). Ce type de symptômes est susceptible de disparaître après le sevrage mais est très courant chez les patients qui développent un syndrome prolongé de sevrage aux benzodiazépines. Les patients se plaignent de ballonnements, de douleurs abdominales, le plus souvent localisées au bas de l’abdomen, d’alternance de diarrhée et de constipation. Les symptômes semblent être aggravés par certains aliments, et les patients peuvent être convaincus qu’ils ont des allergies alimentaires ou souffrent de candidose intestinale, en dépit des résultats négatifs de leurs examens sanguins. Cependant, les phénomènes d’intolérance alimentaire et les réactions pseudo allergiques sont fréquents chez les spasmophiles, et peuvent être liés à la libération d’histamine (44).
La cause de ces symptômes lors du sevrage n’est pas clairement établie mais l’effet du sevrage aux benzodiazépines sur le fonctionnement gastro-intestinal et sur les réactions immunitaires mérite un examen attentif.
III. Les mécanismes pharmacologiques de la tolérance et des symptômes de sevrage
Les mécanismes pharmacologiques qui sous-tendent la tolérance et le sevrage sont encore mal compris. Le mode d’action des benzodiazépines est d’accroître l’activité du neurotransmetteur inhibiteur GABA (acide gamma-aminobutyrique) dans le système nerveux central, en interagissant avec les sites de récepteurs spécifiques situés sur le récepteur post-synaptique GABAa.
Toutefois, la découverte de l’existence de plusieurs types de récepteurs GABA a montré que les changements induits au niveau des récepteurs par l’administration chronique de benzodiazépines pouvaient être encore plus compliqués. Par exemple, un récepteur GABAa peut comprendre au moins 18 sous-unités (par exemple l’alpha1-6, le beta1-3 ou le gamma1-3) (45). La distribution dans le cerveau des différentes combinaisons de récepteurs, ainsi que leur affinité avec les agents qui exercent une action sur elles n’est pas la même (7). D’après des expériences d’extraction de gènes menées sur les souris, il semblerait aujourd’hui que les combinaisons contenant le sous-type alpha2 relayeraient les effets anxiolytiques des benzodiazépines ; que les combinaisons comprenant le sous-type alpha2 relayeraient les effets sédatifs et amnésiques, et que les combinaisons comprenant le sous-type alpha2 entre autres sous-types, relayeraient les effets anti-convulsivants (45). Une étude récente des mécanismes probables de la tolérance aux benzodiazépines (7) suggère que l’administration chronique de benzodiazépines provoque une série de réactions dans lesquelles le dédoublement du lien entre le GABAa et les sites de récepteurs aux benzodiazépines conduit à la dégradation spécifique de certaines unités des récepteurs GABAa. Celles-ci sont alors assimilées au neurone et transmettent à leur tour un signal pour que change la réponse génétique, ce qui engendre une adaptation homéostatique de long terme à la présence chronique des benzodiazépines. Il est possible que cet enchaînement se fasse en un temps qui varie suivant le sous-type de récepteur et ou la région du cerveau concernée, ce qui peut expliquer que la tolérance aux différents effets des benzodiazépines ne se développe pas au même rythme. Dans ce modèle, une fois que la tolérance s’est développée, le sevrage mettrait à nu toutes les altérations induites par les benzodiazépines au niveau des récepteurs GABA, qui ne sont plus neutralisés par la présence du traitement. La conséquence en serait une sous- activité des nombreux domaines où le fonctionnement du système nerveux central est normalement modulé par les mécanismes GABA-ergiques. Dans la mesure où le GABA est un inhibiteur universel d’activité neuronale et qu’il réduit la libération d’un grand nombre de neurotransmetteurs excitateurs (acétylcholine, noradrénaline, dopamine, sérotonine, glutamate) (46), cela conduirait à une poussée de l’activité nerveuse excitatrice. Il a été rapporté une libération accrue de dopamine, de noradrénaline et de sérotonine dans certaines régions du cerveau chez le rat durant le sevrage aux benzodiazépines, mené après une administration chronique. (47, 48). Cette libération de neurotransmetteurs excitateurs, conjuguée à un accroissement, en aval, de la sensibilité des récepteurs excitateurs, peut rendre compte de nombreux symptômes de sevrage aux benzodiazépines. Le réajustement des récepteurs GABA, modifiés lors du développement de la tolérance, peut se produire de façon lente après le sevrage, et à des rythmes variés (7), ce qui explique probablement que les symptômes de sevrage ne se déclarent pas au même moment et qu’ils ne soient pas de même durée selon chez tous les individus (1,18), ainsi que le fait que le syndrome de sevrage aux benzodiazépines puisse être parfois prolongé (1,2). Ainsi, le caractère durable des perturbations perceptuelles et musculaires décrites ci-dessus suggère que les benzodiazépines peuvent causer une hyperexcitabilité de long terme du système nerveux somatique.
Les résultats obtenus avec le flumazénil, un antagoniste compétitif des récepteurs aux benzodiazepines, démontrent que les transformations des récepteurs GABA sont impliquées dans la tolérance aux benzodiazépines et dans le sevrage aux benzodiazépines, y compris dans les symptômes prolongés. Bien que de faible envergure, deux études cliniques contre placebo ont prouvé que le flumazénil peut inverser ou atténuer les symptômes persistant après le sevrage aux benzodiazépines (6, 49). Lader et Morton (6) ont souligné qu’une administration intraveineuse de flumazénil soulageait rapidement les symptômes prolongés de sevrage persistant entre 5 et 42 mois après le sevrage aux benzodiazépines (y compris la tension musculaire, les paresthésies, la faiblesse musculaire, les crampes ou spasmes musculaires, les frissons et tremblements), alors que l’administration de saline n’apportait aucun soulagement. L’amélioration des symptômes pouvait varier de 27 à 82%. L’anxiété, la dépression et les difficultés de concentration étaient également soulagées mais ceci pouvait être une conséquence de l’amélioration somatique. Naturellement, le flumazénil peut provoquer des réactions de sevrage chez des patients sous traitement chronique de benzodiazépines (50-53), mais certaines études rapportent également qu’il peut réduire certains symptômes durant le sevrage chez des patients tolérants aux benzodiazépines (54-56). Nutt (5) examine les mécanismes probables de ces effets, par exemple le réajustement des récepteurs aux benzodiazépines.
IV. AUTRES MODIFICATIONS DU CERVEAU
Dans la mesure où la tolérance aux changements cognitifs et la guérison de la détérioration cognitive causée par l’usage de long terme des benzodiazépines sont incomplètes, et que certains symptômes neurologiques semblent persister indéfiniment, il est difficile d’expliquer ces symptômes en terme de réadaptation lente des récepteurs. Il est possible que certains changements au niveau des récepteurs ne soient pas totalement réversibles, mais on ne peut pas exclure que l’usage des benzodiazépines à long terme puisse créer des atteintes neurologiques permanentes.
Curran et al (38) avancent qu’un traitement chronique de benzodiazépines peut être impliqué dans le déclin cognitif lié à l’âge et la démence sénile, qui sont l’un et l’autre associés à la perte de cellules neuronales et à une atrophie corticale. L’hypothèse selon laquelle l’usage de long terme ou de hautes doses de benzodiazépines pourrait causer des atteintes structurelles au cerveau n’est pas établie sans équivoque. Deux études de scanners (tomographie axiale calculée par ordinateur) ont donné des résultats contradictoires (57,58). Cependant, une étude menée par Schmauss et Kried (59) a montré un élargissement significatif des ventriculaires cérébraux, lié à la quantité de benzodiazépines administrée à forte dose et de façon chronique à 17 patients qui n’avaient pas de problèmes d’alcool. Une autre étude basée sur l’examen de scanners (41) a signalé que certains sujets (7 patientes sur 29) qui avaient consommé de fortes doses de benzodiazépines montraient des signes d’atrophie cérébrale, cette incidence étant significativement plus importante que celle observée chez un échantillon de 200 sujets témoins féminins. Moodley et al. (60) ont observé des anormalités marginales sur des scanners (réductions de densité du lobe frontal du cerveau et d’autres régions) chez des usagers de long terme de lorazépam, mais pas chez les usagers de long terme de diazépam. Ces résultats sont difficiles à interpréter mais suggèrent que l’usage de long terme de lorazépam peut provoquer des changements neuroanatomiques mineurs. Toutefois, ces chercheurs précisent qu’aucune conclusion anatomique ou physiologique ne peut être tirée de cette étude pour le moment. Les travaux les plus récents (61) basés sur l’étude de scanners de 20 consommateurs de benzodiazépines de long terme, âgés de 23 à 59 ans, comparés à ceux de 36 témoins de même âge et de même sexe n’ont montré aucune différence dans l’atrophie cérébrale des deux groupes et ont conclu que l’administration de long terme de benzodiazépines ne provoque pas d’anormalités cérébrales qui seraient visibles sur scanner. Par conséquent, les données actuelles suggèrent que le risque d’atrophie corticale, s’il existe, concerne principalement les usagers de benzodiazépines à long terme et à forte dose, et peut être combiné à l’abus d’alcool.
Il est indispensable de mener des recherches complémentaires, appuyées sur des techniques d’imagerie médicales de pointe, pour confirmer ou infirmer l’hypothèse selon laquelle les benzodiazépines pourraient provoquer des lésions neurologiques permanentes.
V. IMPLICATIONS POUR LA GESTION DU SEVRAGE
Le traitement de la dépendance aux benzodiazépines doit prendre en compte le sevrage prolongé aux benzodiazépines, et le soutien thérapeutique ne doit pas être interrompu trop tôt (4). Les deux axes principaux d’une stratégie de sevrage réussie sont la réduction progressive de la dose et le soutien psychologique. Une gestion attentive du sevrage initial est importante car elle détermine la probabilité de succès du sevrage et, surtout, elle permet de réduire l’incidence et la sévérité des symptômes prolongés de sevrage.
A. La réduction de la posologie
Il est admis que la posologie doit être réduite progressivement chez les consommateurs de long terme de benzodiazépines. Le rythme du sevrage doit être adapté au style de vie du patient, ainsi qu’à sa personnalité, aux facteurs de stress environnementaux, aux raisons pour lesquelles il a pris des benzodiazépines, et au degré de soutien dont il dispose. Pour la plupart des patients qui prennent des benzodiazépines à doses thérapeutiques, le sevrage peut se faire en ambulatoire. Cette méthode, qui maintient le patient dans son propre environnement, permet de laisser les ajustements pharmacologiques et psychologiques se faire progressivement et permet également au patient de continuer le cours de sa vie tout en construisant des stratégies alternatives de gestion du stress.
Pour les usagers de doses élevées en revanche, une hospitalisation peut-être indiquée – le sevrage peut y être débuté, sous surveillance, à une vitesse plus élevée. Lorsque des doses plus modérées sont atteintes, le sevrage peut être poursuivi de la même façon que pour les usagers de doses thérapeutiques.
En règle générale, le sevrage des benzodiazépines à demi-vie longue, comme le diazépam, est plus facile – le diazépam étant par ailleurs disponible en faibles posologies. Il est conseillé de faire procéder, chez les patients prenant des benzodiazépines puissantes à élimination rapide, comme l’alprazolam, à une substitution du diazépam. Des conseils détaillés concernant les protocoles de sevrage de différentes benzodiazépines sont proposés par Ashton (62) et fournis sur Internet à l’adresse www.benzo.org.uk. Contrairement à ce que l’on croit, les symptômes de sevrage ne sont pas inévitables si la réduction de posologie est menée de façon suffisamment progressive.
A l’heure actuelle, aucun élément ne permet de démontrer qu’il existe un traitement médicamenteux pouvant aider à prévenir ou soulager le syndrome de sevrage. Dans certains cas, les antidépresseurs, les bétabloquants (pour soulager les palpitations ou les tremblements), ou la carbamazépine (pour aider au sevrage de fortes doses de benzodiazépines) peuvent recevoir une indication (63). La buspirone est inefficace (17,20). Bien qu’il ait été utilisé avec succès lors de certains essais (54-56), le flumanézil n’est pas adapté à un usage chronique car il a une durée d’action courte et nécessite une administration intraveineuse. Le zopiclone, le zolpidem et le zaleplon sont contre-indiqués dans la mesure où ils ont le même mode d’action que les benzodiazépines, qu’ils engendrent de la dépendance et sont parfois détournés de leur usage thérapeutique. Il a été signalé que la gabapentine a été efficace chez un patient (64) mais ces résultats n’ont pour le moment pas été confirmés par des essais contrôlés.
B. Le soutien psychologique
Malgré une réduction de posologie très graduelle, certains patients dépendants des benzodiazépines peuvent développer des symptômes (Tableau 1), et un protocole de sevrage adapté devrait inclure une forme ou une autre de soutien psychologique. Le degré de soutien nécessaire dépend de chacun : pour certains, des encouragements et une information suffiront, tandis que d’autres auront besoin de thérapies cognitives et comportementales, ou d’autres types de thérapies. Les personnes souffrant de polytoxicomanie et faisant un usage abusif de fortes doses de benzodiazépines peuvent avoir besoin d’un traitement particulier pour régler certains aspects de leur toxicomanie, même si leur anxiété et leurs autres symptômes de sevrage sont similaires à ceux des usagers de doses thérapeutiques. Un soutien approprié devrait être disponible pendant la durée du sevrage, mais aussi durant une période prolongée par la suite.
Les patients qui ont le plus de mal à se sevrer et qui sont le plus vulnérables au syndrome de sevrage prolongé sont les patients qui avaient des niveaux élevés d’anxiété avant le sevrage, ceux qui ont des troubles de la personnalité, et ceux qui sont soumis à des facteurs de stress environnementaux. Toutefois, aucun de ces facteurs n’est une contre-indication au sevrage chez des patients motivés.
Malheureusement, aucun traitement ne s’est montré efficace pour les quelques patients qui développent des symptômes neurologiques prolongés, même si l’intensité de ces symptômes tend à diminuer au fil du temps. Dans la majorité des cas, on constate qu’un sevrage aux benzodiazépines mené lentement et avec un soutien bienveillant, a de grandes chances de bien aboutir. La plupart des patients se sentent mieux que lorsqu’ils prenaient des benzodiazépines, et constatent une amélioration de leur santé tant physique que mentale. (2,38,65).
Résumé et conclusions
Chez une minorité de patients, le sevrage aux benzodiazépines est suivi d’un syndrome prolongé de sevrage qui peut durer de nombreux mois. Ce phénomène peut être expliqué par des facteurs à la fois pharmacologiques et psychologiques. Parmi ces symptômes, on retrouve l’anxiété, l’insomnie, la dépression, la détérioration cognitive, et un ensemble de perturbations perceptuelles, motrices et gastro-intestinales. Le traitement initial de la dépendance aux benzodiazépines devrait prendre en compte la possibilité de survenue de ces symptômes prolongés, car ils peuvent être minimisés par une réduction graduelle de posologie et un lien thérapeutique de long terme, avec un soutien psychologique approprié.
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